[…]
Elle eut à peine le temps de distinguer une ombre. Une ombre imposante qui se rapprochait d’elle.
Et là, c’était le trou noir.
*
Le 15 octobre 1666,
J’ai beau être encore vivante, je me sens morte. C’était comme si le venin d’un terrible reptile me consumait lentement… Je ne suis pas sortie de la maison depuis que l’incendie a eu lieu. La tristesse m’envahit et je ne cesse de penser que maman serait toujours là si elle n’avait pas tenté d’aider les autres villageois. Mon village a perdu la moitié de ses maisons. Beaucoup d’habitants, dont mon ami T., sont morts. Dans cette ville, on se connaissait tous depuis des années. Les voisins me connaissent depuis que je suis née. Ils n’auraient pas hésité une seconde à me venir en aide si j’en avais eu besoin. Alors, pour faire mon deuil, je me résigne à penser qu’elle a fait ce qu’ils auraient fait pour moi. Mais c’est trop difficile à encaisser quand on vit toujours dans la maison qu’elle foulait avant-hier.
K. posa son journal sur son bureau et regarda à la fenêtre. Les rues étaient désertes. Beaucoup de familles étaient en deuil. On lui avait dit que M. avait pu s’abriter de l’incendie à temps, ce qui n’avait été malheureusement pas le cas de sa plus petite sœur.
Des gouttes d’or obscur ruisselaient le long de la vitre. Elles parcouraient les méandres d’un chemin tout en ignorant que ce dernier s’arrêterait sur le pavé froid du sol. Les larmes du ciel nébuleux ne cessaient de couler.
L’image reflétée de son éphéméride lui rappela qu’une nouvelle journée l’attendait. Elle s’était levée tôt pour confier ses pensées à son journal, comme si elle avait voulu se débarrasser des mauvaises images que lui procuraient ses cauchemars. Elle avait imaginé que tout ce qui s’était passé reposait sur la volonté d’un être supérieur qui avait voulu la punir. Elle allait même jusqu’à croire que si elle était restée au village ce jour-là, ce drame ne se serait jamais produit.
K. entendit frapper à la porte. La jeune fille sortit alors de sa chambre et traversa le salon. M. apparut sur le seuil. Elle esquissa un petit sourire à K., mais on voyait bien qu’elle n’était guère enthousiaste. K. l’invita à se réchauffer à l’intérieur et prit son manteau qui était trempé.
« Comment tu vas ? déclara sa convive.
– Bien », lui répondit K.. C’était sans doute plus simple de mentir.
Elle servit du thé à son amie qui ébouriffa sa chevelure rousse. D’habitude, celle-ci descendait jusqu’à son épaule vêtue d’un pull dépenaillé. Puis elle la peigna avec ses doigts avant d’enrouler une mèche de cheveux pour faire une queue de cheval. K. observait minutieusement ses gestes comme si elle espérait décrypter l’état d’âme de son amie. Elle savait aussi ce que c’était que de perdre quelqu’un de sa famille.
« Tu peux passer chez moi quand tu veux, K.. Tu es seule ici maintenant, déclara M. en regardant autour d’elle.
– Je ne pense pas que ce soit le moment étant donné la mort de ta sœur. Je ne…
– C’est sincère, je t’assure. Elle n’aurait pas aimé que je pleure indéfiniment sur son sort tu sais.
– Ca fait à peine deux jours. Et je préfère être seule pour le moment. »
M. sembla vexée. Elle partit un quart d’heure plus tard après avoir dit que le village avait rendu les derniers honneurs à T. hier soir.
L’incendie avait jeté un froid glacial dans tout le village autrefois si joyeux. Les M. n’avaient plus besoin de K. car leur ferme avait brûlé. Cela lui donnait une bonne raison de rester isoler. Néanmoins, elle décida de se rendre sur la tombe de sa mère le soir même.
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